Alors que mon avion survole le désert verdoyant des montagnes papous, mon esprit divague déjà dans les méandres de cette jungle que j’imagine aussi hostile qu’attrayante. Je suis empli d’un mélange d’impatience et d’appréhension, cette sensation cotonneuse qui caractérise le début de toute aventure. Le coeur ouvert, les paupières closes, je me laisse happer par le voyage. En rouvrant les yeux, j’aperçois la vallée du Baliem en contre-bas. La ville de Wamena surgit comme un démon aux mâchoires de béton au milieu de cette luxuriance végétale. Après un atterrissage incertain sur une piste cahoteuse, je me réjouis de pouvoir sortir de la carlingue et de prendre une grande bouffée d’air frais. Au milieu des avions, un vieux papou déambule sans but apparent sur l’asphalte, il est totalement nu, vêtu uniquement de son étui pénien. Personne ne semble lui prêter attention, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer la vie de cet homme, qui a connu le basculement total d’un peuple de l’âge de pierre à la civilisation moderne. Il y a seulement quelques dizaines d’années Wamena était encore inconnue du reste du monde, et il était un jeune guerrier, courant le nez et les oreilles parés de plumes et d’os, dans une jungle dont il connaissait tous les secrets. Son quotidien était rythmé par les combats avec les tribus ennemies et les terres fertiles de son village où il vivait une existence simple et heureuse. Aujourd’hui Wamena s’est considérablement développé, et ce vieil homme semble perdu dans la folie d’un monde incompréhensible. La tristesse de cette vision anachronique me marquera à jamais.Aux portes de l’aéroport, une foule de papous semble attendre. Certains sont guides, d’autres taxis, et d’autres encore sont simplement assis là et ne font rien d’autre qu’observer l’étrange manège qui se déroule ici chaque jour. L’aéroport de Wamena est un peu le parc d’attraction de la ville, et beaucoup espèrent trouver un gagne-pain avec le développement du tourisme. Je me fraye un chemin tant bien que mal à travers la foule et ignore guides et autres rabatteurs. Je repère non loin de là un hôtel lugubre qui me servira de base pour préparer mon trek. Les cafés et les cigarettes se succèdent inlassablement, et semblent prendre une place majeure dans le quotidien de ces papous modernes. En fin de journée mes deux compagnons arrivent et nous passons la soirée à organiser notre randonnée. Nous souhaitons partir à la découverte des Yali, l’un des peuples les plus traditionnels des hauts plateaux. Considérés comme des pygmées en raison de leur petite taille, ils étaient aussi des cannibales redoutés par les autres tribus. Nous rencontrons plusieurs guides, et l’un d’eux, Martinus, nous propose de nous emmener dans des villages reculés hors des circuits touristiques. Mais une semaine de marche en autonomie dans la jungle est nécessaire avant de rejoindre les premiers villages. Nous convenons ensemble d’un trek d’une durée totale d’environ 20 jours.
Une équipe de choc
Le véhicule délabré qui nous a déposé ici s’en retourne à Wamena tandis que nous marchons dans un silence presque solennel sur un sentier étroit et rocailleux. Pour un premier jour de trek, nous ne sommes pas au meilleur de notre forme. Sébastien a une vieille blessure à la cheville qui s’est réveillée et a emporté des béquilles avec lui en cas de besoin, Aurélien fait une réaction allergique que nous mettons sur le dos de l’insalubrité de l’hôtel, et je suis pris d’un terrible mal de ventre qui empire à chaque pas. Nous ressemblons plus à une équipe de bras cassés en ballade qu’à de solides randonneurs prêts à marcher plusieurs semaines dans la jungle. C’est dans ces conditions pour le moins précaires que nous nous enfonçons dans la forêt. Les branches, les lianes et les troncs d’arbres se mêlent dans une étreinte dense nous poussant à avancer lentement et à grands coups de machettes. Nous découvrons petit à petit notre quotidien ; un univers humide où la pluie, la jungle et la boue ne semblent connaître aucune limite. L’agréable souffrance de la marche s’empare de nous sans prévenir et nous porte vers l’inconnu. Le soir venu, nos porteurs construisent un abri naturel fait de troncs d’arbres, de branches et de mousses.
À l’aube nous mettons le feu au campement de fortune, et nous observons la scène irréelle en buvant notre café. Alors que la nature a eu son effet guérisseur sur mes deux compagnons qui sont désormais en meilleure forme, mon état empire. Chaque pas requiert un effort surhumain, et j’avance les yeux fermés. Je tombe tous les cents mètres maudissant les lianes et autres pièges incessants qui hantent cette jungle. Je n’ai rien avalé depuis plusieurs jours, et l’énergie commence à me manquer. Lorsque je me force à manger quelque chose, je dois immédiatement courir me vider dans la forêt, profitant de la douceur des mousses pour m’essuyer. Comme un zombie dans cet enfer naturel, je continue d’avancer malgré moi, poussé par la force invisible de la volonté. Et comme pour gâter un peu plus la situation, après seulement deux jours de marche, notre fourbe de guide nous annonce dans un numéro pathétique qu’il doit retourner à Wamena car sa femme va accoucher. Nous sommes persuadés qu’il avait prévu cela depuis le début. Nous lui avons déjà donné un tiers de la somme totale convenue, soit environ 250 Euros, mais nous ne pouvons pas l’empêcher de partir… Les trois porteurs, Yohan, Silas et Salak, acceptent de continuer avec nous. Aucun d’eux ne parle anglais, mais mon indonésien rudimentaire et mon dictionnaire devraient suffire. J’hésite longuement à abandonner et à m’en retourner à Wamena avec Martinus, mais finalement je décide de continuer encore quelques jours, et de redescendre avec l’un des porteurs si mon état ne s’améliore pas.
L’homme face à la nature
Nous pénétrons dans les profondeurs de la jungle montagneuse papou et la marche se fait de plus en plus difficile. Nous bravons des étendues de boues qui semblent interminables, sans autres choix que de nous y enfoncer, parfois jusqu’aux genoux. Nous grimpons les sentiers à quatre pattes, et les descendons sur les fesses, ne formant plus qu’un avec la pourriture végétale. Une fois en-bas, des troncs d’arbres en décomposition craquant sous notre poids et prêts à céder à chaque instant servent de pont au travers de rivières turbulentes dans lesquelles une chute se transformerait en catastrophe. Pas de récompense sur l’autre rive, juste une autre montée plus raide que la précédente, une pluie plus intense, et encore et toujours plus de boue. Autant d’obstacles qui deviennent pour moi de plus en plus difficiles à surmonter. Mais de ce même environnement, aussi inhospitalier soit-il, émane une atmosphère magique. La mosaïque des couleurs vives des mousses, des fougères, des tourbières, des lichens et d’autres plantes inconnues se mêlent et se perdent dans les dédales d’une peinture naturelle sans fin. L’odeur âcre et douce du bois mort et des feuilles en décomposition semble être ravivé par la pluie incessante. Le bruit de ces millions de gouttes d’eau heurtant la voûte végétale, se mêle à celui des cascades, formant une mélodie aquatique au coeur du silence qui règne dans l’immensité naturelle de cette jungle.
Parfois des grottes et des falaises surgissent de la forêt laissant naître un décor aux allures préhistoriques et offrant des abris naturels où nous passons la plupart de nos nuits. Celles-ci sont glaciales et nous nous blottissons auprès du feu, ne prêtants plus aucun intérêt aux cendres qui nous recouvrent. Réveillé une fois de plus par le froid, je jette quelques branches dans le foyer mourant, soufflant sur les braises pour retrouver un peu de chaleur. Je n’arrive plus à trouver le sommeil, et je reste assis à fumer auprès du feu. Bercé par la danse des flammes, je me laisse porter par l’immensité du monde qui m’entoure. Dans ce tableau, l’homme n’est qu’un être infime et éphémère faisant face à la grandeur et à la puissance d’une nature immuable. La symbiose des végétaux, des minéraux et des animaux m’entraîne vers cet univers primitif. Je me laisse aspirer corps et âme par cette jungle indomptée qui me renvoie l’image de ma vraie nature. Serais-je en train de redevenir l’homme sauvage que je devrais être ? J’abandonne définitivement l’idée de tout confort, et repense aux souffrances endurées comme le prix à payer pour jouir de cette liberté sans limites. L’écho de cette pensée résonne en moi, et je m’endors en réalisant que cette liberté n’a pas de prix.
La grotte
Ce matin, je me sens enfin mieux, et c’est plein d’une nouvelle énergie que j’affronte les caprices de mère nature. Ramper sous des amas de bois bloquant le passage, patauger dans des mares de boue, se retenir à des bouts de bois qui s’émiettent à la moindre pression, tomber, se relever, retomber, nous ne étonnons même plus des obstacles que ce monde, où enfer et paradis se côtoient, met sur notre chemin. Après une montée interminable, la forêt s’éclaircit, et du haut du col nous découvrons un immense plateau perdu dans la brume. C’est un environnement totalement différent qui se dresse devant nous, une végétation principalement constituée de bruyères et de tourbières a remplacé la jungle dense à laquelle nous nous étions habitués. Nous nous enfonçons jusqu’aux cuisses dans les éponges de tourbe et continuons notre route à travers la flore rase de ce plateau d’altitude. Nous débouchons sur une crête bordée d’un précipice vertigineux et avec vigilance avançons à tâtons dans l’épaisseur du brouillard. De la jungle à la montagne, des cols aux rivières, les paysages se suivent mais ne se ressemblent pas. À chaque fois, j’ai l’impression d’entrer dans un nouveau monde, totalement différent du précédent. Les montées se font plus longues, plus fatigantes et plus abruptes. Le sol friable cède sous chaque pas, et les éboulis rocheux s’effilochent et nous entraînent vers le bas comme une dune de sable. Nos chevilles et nos cuisses sont de plus en plus douloureuses, et nous comprenons pourquoi la plupart des papous ont des jambes si musclées.
Alors que nous cherchons un endroit pour passer la nuit, des cris résonnent à l’horizon. Nos porteurs s’agitent et répondent à leur tour par des cris gutturaux. Ils nous expliquent qu’un groupe de Yali retournant à leur village sont installés dans une grotte en contre-bas et nous invitent à les rejoindre. Dans la grotte, une quinzaine de personnes, hommes, femmes et enfants sont assis autour du feu. La nuit tombe soudainement, une pluie diluvienne et un froid perçant l’accompagnent. Les gouttes d’eau coulent le long de cet abri naturel dans lequel tout le monde se serre autour de la chaleur des flammes. Les patates douces cuisent à même la braise et sont distribuées petit à petit jusqu’à ce que tout le monde soit rassasié. C’est alors que les femmes commencent à chanter, leurs voix s’envolent dans la fumée, frottent délicatement les parois de la grotte et résonnent dans l’infini de la nature environnante. Les hommes rejoignent la chorale, et leur chant puissant contraste avec la mélodie douce des voix féminines. Ces polyphonies syllabiques nous envoûtent, comme si l’âme d’un vieux chaman jetait un peu de magie sur chacune de ces notes. Dans cette grotte où la lumière naturelle du feu de bois se mêle à l’harmonie des chants, une atmosphère du bout du monde flotte dans l’air froid et humide. Je m’endors, rêvant de ces temps anciens où l’homme ne faisait qu’un avec le monde qui l’entourait. Cette rencontre après cinq jours de marche nous a donné un aperçu de la culture Yali, et il nous tarde d’en découvrir davantage. Apparemment deux jours de marche seront encore nécessaires avant d’atteindre le premier village. Nous avalons les kilomètres, la boue, les montées abruptes, les rivières, la pluie et tant d’autres douleurs avec l’espoir d’en apprendre plus sur ce peuple du bout du monde. Après tant d’épreuves surmontées, nous arrivons enfin à la lisière du village de Kemumangkan.
Une culture unique
« Wa wa wa », ces quelques mots caractéristiques des peuples des montagnes, nous accueillent dans une cohue générale. Nous répondons de la même manière « Wa wa wa », tout en donnant de longues poignées de mains, et en échangeant des regards curieux mais pleins d’amitié. Cela semble fonctionner puisque nous sommes invités dans le yowa, la maison des hommes. L’intérieur de la hutte est couvert de suie qui s’est accumulée au fil des ans, et la fumée dense qui flotte et rend l’air irrespirable ne semble déranger que nous. Nous partageons une large quantité de patates douces, tandis que l’un de nos porteurs conte nos péripéties. Perché sur une crête montagneuse, le village est constitué d’une trentaine de huttes de formes rondes construites à partir de planches coupées et de toits en paille ou en chaume selon les habitations. La majorité des hommes du village porte des haillons européens, et seuls les plus anciens portent encore leur étui pénien, aussi appelé kotéka. Celui-ci est fait d’une calebasse évidée dans laquelle est passée leur sexe. Les femmes sont plus nombreuses à encore porter leur jupe traditionnel confectionné à l’aide de morceaux d’écorces. A cette jupe s’ajoute un filet en fibre végétale tressée qui sert d’habillement, mais aussi à transporter aussi bien des aliments que des enfants. Les hommes comme les femmes sont de petite taille, et rares sont ceux qui dépassent le mètre cinquante. Le chef du village nous propose d’organiser une fête traditionnelle, mais il souhaite pour cela que nous achetions un cochon pour la modique somme de 2 millions de roupies indonésiennes, environ 150 euros.
Le sol vibre sous les pas lourds des hommes qui dansent en cercle, arcs à la main. Des chants originaires des temps anciens résonnent dans le village et nous renvoient l’image de la nature guerrière de ces hommes. Pendant ce temps, le cochon est amené et l’un des papous le transperce d’une flèche en plein coeur. Les chants et les danses reprennent de plus belle. Au milieu du village un vieil homme lance un feu à l’aide d’une liane coincée entre ses doigts de pieds qu’il frotte avec vigueur à un bout de bois. Au bout d’une minute d’efforts, la paille prend, et des cris fusent de toute part, on apporte du bois et des pierres qui une fois brûlante serviront à la confection du four traditionnel et permettront de cuire les aliments. Entre temps, l’un de nos porteurs vient nous voir et nous explique que les hommes du village souhaitent nous faire porter l’habit traditionnel. « Kotéka ? » nous demande un vieil homme avec un sourire malicieux ancré sur le visage. Nous nous retrouvons nus dans la hutte des hommes, entourés de vieux papous. Seul le feu laisse deviner leur visage. Étrange sensation, un peu douloureuse même, lorsque ces anciens tirent sur vos testicules pour les faire passer dans un bout de ficelle. Lorsque nous ressortons de la hutte, nous sommes devenus les vedettes de la cérémonie, les femmes et les hommes cris et gloussent, les enfants rigolent. Nous sommes invités dans la ronde, nous dansons avec eux, chantons, crions. L’espace d’un instant mon âme fusionne avec celle de ces hommes. J’entre dans le monde spirituel qu’est le leur et me laisse guides par cette sensation. Le four est déballé, les patates étalées sur des feuilles de bananiers, et le cochon partagé. A la fin du repas, les discours s’enchaînent, le chef, les anciens, nos porteurs, tout le monde remercie tout le monde, même si nous ne comprenons pas tout. Nous faisons également nos remerciements, avec l’aide de nos porteurs pour traduire en langue Yali. Dans ce village, en plein coeur de la jungle papou, le monde fade et matériel de la société moderne semble être a des années lumières. Le sentiment de redevenir un homme sauvage m’imprègne d’une intensité que je n’ai jamais connu auparavant. Les problèmes de notre monde semblent totalement dérisoires, et j’en viens à envier ces hommes qui vivent de la seule façon dont l’homme devrait vivre.
Communication
À travers les arpents des terres cultivées et les rivières, nous reprenons la route, accompagnés par de nombreux enfants du village. La pluie redouble d’intensité, et les enfants nous tendent d’énormes feuilles que nous utilisons en guise de parapluie mais sans grand succès. En fin de journée nous atteignons un autre village et nous écroulons après avoir effectué les salutations de rigueur. Le matin, nous sommes invités à rencontrer le chef dans la maison des hommes. Dans la pénombre, un homme est assis en tailleur au fond de la hutte, et seul la lueur du feu éclairant son visage laisse apparaître son regard profond qui me transperce de part en part. Une aura se dégage de son regard et embaume la hutte de par sa puissance. Nous sommes à nouveau invités à acheter un cochon, mais cette fois nous refusons. Il sort alors de la hutte et s’adresse au village sur un ton calme et autoritaire à la fois. Il annonce alors qu’il est touché par notre venue dans ce village qui ne reçoit jamais de touristes, et que même si nous n’achetons pas de cochon, il souhaite tout de même nous accueillir avec un festin de patates de douces, des danses et des chants. Il continue et s’adresse maintenant à nous, « Hier, des missionnaires sont venus dans le village, nous les avons tués et mangés ». À ce moment là, nous cherchons de l’aide dans le regard de Yohann qui est également notre traducteur, mais il nous fait signe de ne pas nous inquiéter. « Mais aujourd’hui, nous ne tuons plus les visiteurs, et tenons à vous faire découvrir notre culture » continue-t-il. On comprendra plus tard que les papous ont une approche du temps et des distances totalement différente de la nôtre, hier peut signifier il y a plusieurs années, et ce n’est plus très loin peut signifier qu’il ne reste plus qu’une dizaine de jours de marche…… Tandis que les patates cuisent, un groupe de femmes âgées s’approche de nous d’un air timide. Nous ne comprenons pas ce quelles nous disent, elles nous font un signe qui signifierait « Viens ici », dans notre langage des signes, mais cela a l’air d’avoir une toute autre signification ici. On dirait que c’est comme si elles essayaient de se saisir d’une partie de nous, de se saisir de l’instant présent, comme peut-être une manière de ne jamais oublier.
Pour remercier le village, nous tenons nous aussi à leur faire découvrir un brin de notre culture. Aurélien à la guitare, Sébastien au chant, et moi au jonglage. Nous réalisons notre petit spectacle sous l’oeil intrigué des papous. Tout le monde se prend au jeu, j’apprends aux enfants à jongler, certains chantent sous les airs de guitare d’Aurélien, d’autres dansent. Le langage universel qu’est l’art peut permettre de briser bien des barrières, et parfois un sourire et une guitare valent mieux que des longs discours. Les patates sont étalées à même le sol sur plusieurs dizaines de mètres et tout le monde vient se servir, cette fois c’est le silence qui règne, une autre langue que tout le monde comprend. Le lendemain nous faisons nos adieux, une des vieilles dames de la veille vient vers nous et nous prend tout à tour dans ses bras, elle se met à pleurer, ses larmes en entraînent d’autres, et je sens à mon tour les larmes venir. Ce village a été un vrai lieu de partage, d’amitié et de découverte, sans argent, sans costumes ou autres facéties. Nous somme vraiment tristes de partir, et nous nous retournons tous les 20 mètres pour saluer le village qui reste à nous observer jusqu’à ce que nous disparaissions dans l’immensité de la jungle.
Dorénavant les villages se succèdent, et il nous arrive d’en traverser plusieurs au cours d’une même journée de marche. Certains sont accueillants, d’autres moins, on nous demande même de payer pour prendre des photos des maisons dans un village, nous refusons tout net et quittons le village. Certains sont composés uniquement de huttes traditionnels, d’autres ont déjà des toits en taule. Nous nous rapprochons de plus en plus des circuits touristiques et cela se ressent. La jungle, elle, ne change pas, de la pluie et de la boue, des montées, des descentes, des rivières et c’est reparti pour un tour. Les sentiments, les expériences, les images s’accumulent inexorablement dans nos esprits. La fatigue s’est emparée de nos corps meurtris par la marche. Les chevilles usées, les cuisses brûlées par l’effort et les plaies qui suintent sur nos pieds et nos bras sans jamais sécher dans des chaussures humides en permanence. Il ne nous reste plus que quelques jours de marche avant de rejoindre Wamena, et nous rêvons d’un repas qui ne serait pas constitué uniquement de patates. C’est étrange que lorsqu’on marche, au début on se laisse porter par la frénésie de la découverte et de l’enthousiasme et tout semble facile, mais plus la fin approche, plus la marche devient difficile, et plus on souhaite en finir… Nous marchons donc de plus en plus longtemps chaque jour dans l’espoir d’arriver plus tôt. Mais une fois de retour à Wamena, nous regrettons la vie de la jungle, ses joies et ses douleurs. Ce pays est tel une nébuleuse perdu dans l’espace d’un nouveau monde narcissique et superficiel. Et à peine parti de Papouasie, que nous souhaitons déjà y retourner.
Et pour en savoir plus :
Retrouvez cet article dans la revue Bouts du monde n°30.
http://www.revue-boutsdumonde.com
2 comments
Bonjour,
Le récit est intéressant mais sans nom de villages. Peux-tu préciser un peu votre itinéraire et est-il possible de dénicher un guide sur la route, au niveau de Sugogmo par exemple ?
Avez-vous connaissance d’un autre parcours réalisable ?
Merci beaucoup,
Christian
Les deux villages les plus intéressants que nous avons traversé sont Kemumangkan et Ulum. Il y avait un autre village plus grand avec une piste d’atterrissage mais je ne me souviens plus du nom. Il était situé dans la vallée en face d’Angurruk.
Différentes options s’offrent à vous, si vous avez des notions d’indonésien, vous pouvez prendre des pisteurs de villages en villages, sinon, le plus simple est quand même de trouver quelqu’un qui parle anglais à Wamena.
Il existe des dizaines de parcours réalisables, donc c’est difficile d’en conseiller un en particulier.
Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas.